Marie-Claire Cailletaud : « Ce livre est un cri d’alarme »

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A Nantes, la porte-parole de la fédération nationale CGT Mines- Energie, présentait le livre « La bourse ou l’industrie » (éditions de l’Atelier) qu’elle co-signe avec Jean-Christophe Le Duigou. Entretien.

Le titre de votre livre marque un antagonisme sans appel entre économie réelle et financière. Pourquoi ?

Notre pays arrive à un point de désindustrialisation alarmant. En analysant les causes de cette situation, on se rend compte que c’est dû à la financiarisation de l’économie. L’argent généré par le travail n’est plus mis au service de l’appareil productif et de l’humain, mais s’échappe vers la spéculation et par conséquent étrangle l’industrie. C’est le fameux « cout du capital » contre lequel la CGT a lancé une campagne. En 30 ans la part des dividendes dans la valeur ajoutée est passée de 5 à 25%. On a multiplié par cinq la partie des richesses créées que l’on va donner aux actionnaires uniquement pour alimenter la spéculation financière. Or sans travailleur, même avec l’introduction de nouvelles technologies, on ne produit rien.

Nous combattons le mythe de la société post-industrielle, basé sur les concepts d’industrie 4.0 et du modèle de la Silicon Valley qui mettrait une croix sur tout ce qui existe aujourd’hui en termes d’appareil productif et d’emploi. La robotisation et l’automatisation peuvent être des opportunités à condition que les salariés s’en saisissent pour transformer le travail, et les mettent en cohérence avec les possibilités de notre époque et leurs propres aspirations. Mais il serait tout aussi utopique de croire que l’on pourrait reconstruire sur les ruines de l’industrie actuelle.

Quel serait l’impact pour l’industrie de la signature de grands traités de libre échange internationaux comme le CETA ou le TAFTA ?

Ces accords plébiscités par les entreprises transnationales sont synonymes de dumping social et environnemental, puisque les marchandises produites à moindre cout dans des pays où la protection sociale de travailleurs est indigente sont ensuite rapatriées par camion ou par bateau là où elles sont consommées. L’industrie que nous prônons est celle qui produit au plus près des citoyens pour répondre à leurs besoins. Pour cela le coût de transport est un levier important sur lequel les Etats peuvent agir afin de prévenir les délocalisations.

Quelles sont les pistes pour remédier à cette situation ?

Si on veut une économie forte, il faut une industrie forte. Aujourd’hui notre balance commerciale est en déficit structurel puisque nous importons 60% de nos besoins. Donc si on ne réagit pas, on risque de continuer de s’enfoncer dans une spirale austéritaire mortifère en termes d’emploi.

L’économie circulaire, les circuits courts et l’éco conception sont des pistes sérieuses. Il nous faut penser et produire des objets durables, interconnectables et réparables. Il s’agit aussi de produire ce qui correspond aux besoins sociaux, et en cela la question démocratique est primordiale.

La recherche est une des clés importante d’une véritable politique industrielle. Aujourd’hui en France le budget de la recherche n’est pas assez important, alors même que le traité de Lisbonne – que l’on évoque très peu à ce sujet – prévoit que 3% des budgets des pays européens doivent être réservés à la recherche… Nous sommes seulement à 2,24 % en France aujourd’hui.

Pour financer la modernisation de l’appareil productif, il nous faut un pôle financier public, capable de financer des projets à long terme.

Toujours concernant le financement, il faut mobiliser l’argent accaparé par les banques, la finance et les paradis fiscaux pour le réinjecter dans l’économie réelle. Si une véritable volonté politique existait à ce sujet, cela pourrait être fait au niveau européen.

Un autre axe important est celui de la formation : les nouvelles technologies impliquent une évolution des métiers et l’acquisition de nouvelles qualifications. Il faut aussi inventer un nouveau statut du salarié qui lui permette d’alterner des périodes de travail et de formation.

Les prétendants à l’élection présidentielle sont-ils assez sensibles à ces enjeux ?

Concernant l’énergie, nous avons envoyé aux candidats à la présidentielle et nous le ferons ensuite pour ceux aux législatives, une charte pour un service public de l’énergie du 21e siècle. En effet, c’est un secteur important en terme d’emploi, structurant pour l’ensemble de l’industrie car c’est celui qui permet de fournir une énergie stable et à bas cout. En plus, dans notre esprit, c’est un service public qui répond aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux et qui doit également assurer un droit à l’énergie pour tous alors que notre pays compte 11 millions de précaires énergétiques.

D’une manière plus globale, ces questions impliquent des visions à très long terme qui impliquent des investissements lourds et non rentables immédiatement, ce qui ne coïncide pas forcement avec les agendas politiques. Un phénomène aggravé par le fait que nombre d’hommes et de femmes politiques parlent du travail et de l’industrie alors qu’ils n’ont jamais été en poste dans une entreprise de leur vie !

Propos recueillis par Claire Nelson